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Les cellules photovoltaïques ne parviennent à réutiliser qu’une partie de l’énergie solaire qu’elles captent. Plus ce taux augmente, plus le « rendement » des cellules est élevé. Ce rendement permet de mesurer l’efficacité des panneaux solaires. Les industriels et les chercheurs tentent bien sûr d’augmenter au maximum ce taux de conversion afin de maximiser l’efficacité des équipements photovoltaïques.
Protéger des véhicules tout en produisant de l’énergie ? Voilà le concept des ombrières photovoltaïques. La surface de ces toitures est utilisée pour disposer des panneaux solaires et ainsi produire de l’énergie. Cette dernière peut être revendue ou bien stockée dans des batteries, qui servent à la recharge des voitures et autres deux-roues électriques.
Inauguré en juillet dernier par Nicolas Hulot, Energy Observer est un bateau à hydrogène qui fait lui aussi l’impasse sur les énergies fossiles. Il est également équipé de nombreux panneaux photovoltaïques, qui lui fournissent une source d’énergie complémentaire. Pour tester et promouvoir les énergies du futur, ce navire s’est embarqué dans un tour du monde.
Solar Impulse est parvenu à boucler un tour du monde sans kérosène. (Illustration CC BY Anthony Quintano)
Dans les allées du salon automobile de Détroit qui débute ce samedi, de nombreux véhicules électriques et hybrides côtoient les gros 4×4 polluants, de quoi entrevoir l’avenir de la mobilité. Pour se passer des hydrocarbures, le transport solaire fait partie des alternatives. L’avion Solar Impulse a ainsi bouclé un tour du monde en 2016 grâce à ses panneaux photovoltaïques. Sur les routes ou dans les airs, voyagerons-nous tous demain grâce au soleil ?
Le 9 mars 2015, Solar Impulse 2 décolle d’Abu Dhabi aux Émirats arabes unis. Équipé de plus de 17 000 cellules photovoltaïques, cet avion solaire débute la première étape d’un tour du monde réalisé sans la moindre goutte de kérosène. Malgré son envergure de 72 mètres – plus qu’un Airbus A320 -, l’appareil ne pèse que 2 tonnes. Volant à faible allure, rarement au-delà des 100km/h, il demeure dépendant de la météo. De l’ensoleillement aussi : indispensable pour faire tourner ses moteurs électriques et recharger ses batteries en vue des vols nocturnes.
Coincé à terre durant plusieurs mois du côté d’Hawaii, Solar Impulse est finalement parvenu à achever un périple de 40 000 kilomètres. « C’est un immense succès », clame le père du projet à l’issue de cette aventure. Un Bertrand Piccard aux anges qui ajoute : « On a poussé les énergies renouvelables et les technologies propres dans leur application la plus folle. Jamais personne n’avait pensé que les énergies renouvelables permettaient de faire des choses aussi impossibles que ça ! » Admiratif, Stéphane Guillerez, chef du service modules photovoltaïques au sein du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), a suivi les différentes étapes de cette traversée. Spécialiste de l’énergie solaire, il reste néanmoins prudent lorsqu’il s’agit d’imaginer une transposition grand public de Solar Impulse.
Avec son immense envergure, sa masse réduite et ses ailes couvertes de cellules photovoltaïques, Solar Impulse est-il encore un avion ?
C’est un objet plus lourd que l’air que l’on fait voler dans une direction choisie, on peut donc bien parler d’un avion. Pour autant, il ne faut pas y voir l’A320 du futur. Entre Solar Impulse – ou d’autres prototypes -, et l’avion de demain, il existe aujourd’hui un véritable fossé.
D’un point de vue technologique, comment qualifieriez-vous ce projet ? Faut-il le considérer comme une petite révolution ?
Sur le plan technique, il s’agit d’une intégration très poussée de technologies existantes dans le solaire. Il n’y a pas eu de développement spécifique à ce projet : Solar impulse a utilisé des cellules très performantes, fabriquées par la société américaine Sunpower, filiale de Total. Ce sont les plus efficaces aujourd’hui commercialisées, le très très haut du panier, avec un rendement particulièrement élevé. L’épaisseur infime des matériaux utilisés permet d’augmenter de manière significative le rapport poids puissance.
Le Suisse Bertrand Piccard, initiateur du projet Solar Impulse. (Illustration CC BY UNclimatechange)
On sait aujourd’hui construire des avions très légers, avec une portance [la force nécessaire pour se maintenir en l’air, NDLR] suffisante pour voler à vitesse réduite. À mon sens, la révolution se situe plutôt dans les esprits : on montre avec cet exemple que l’on peut utiliser l’énergie solaire pour se déplacer, et ce, même à bord d’un avion. Je retiens surtout la force du symbole, qui est de nature à faire évoluer les mentalités.
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Vous présentez Solar Impulse comme un prototype, en quoi est-il singulier ?
L’avion est équipé de panneaux solaires bien différents de ceux qu’installent les gens sur le toit de leur maison. Le cahier des charges n’a rien à voir. Le panneau solaire rigide que tout le monde connait, en verre et avec son cadre en aluminium, est conçu ainsi car il doit durer 20 ans. Entre le vent, la pluie, la grêle, il faut qu’il soit suffisamment protégé.
Avec Solar Impulse, on parle d’une application particulière, les contraintes d’utilisation n’ont rien à voir et on peut par exemple se permettre de diminuer la protection des cellules photovoltaïques afin d’alléger l’ensemble. On utilise alors un film incroyablement fin qui permet aux composants de survivre à l’opération. C’est logique, l’appareil est pensé pour des temps de vols ne dépassant pas quelques centaines d’heures.
Avez-vous été surpris en voyant l’avion boucler son tour du monde ?
Au sein du CEA, on suivait à distance les étapes successives. Les technologies mises en œuvre étaient connues, on ne doutait pas que cet avion puisse voler. Le plus difficile, ça reste les choix de créneaux météo pour parvenir à voyager en sécurité. Cela permet de mesurer les contraintes liées au fait de se déplacer librement avec si peu d’énergie.
La météo, justement, n’est-elle pas un obstacle majeur au développement de véhicules solaires ?
L’énergie produite est proportionnelle à l’énergie reçue, vous ne pouvez pas voler dans les nuages ! Pour les éviter, il faut donc évoluer à des hauteurs qui sont celles des avions habituels. Ces technologies imposent de choisir un parcours en fonction de la météo. Pour aller d’un point A à un point B, vous devez choisir un créneau favorable car vous n’avez pas l’énergie suffisante pour lutter contre les éléments. C’est une notion que l’on a oubliée depuis longtemps avec les moyens de déplacement actuels.
Clairement, on se trouve à la limite de l’exercice. Solar Impulse est un avion très léger et fragile, que l’on ne peut pas faire voler dans toutes les conditions. Il a effectué son tour du monde dans des conditions très spécifiques, en évitant les vents contraires, etc. Au-delà de cette contrainte météo, il faut aussi garder à l’esprit qu’à l’intérieur, il n’y a de place que pour une seule personne, en l’occurrence un pilote.
La force de Solar Impulse ? Allier légèreté et envergure. (Illustration CC BY Anthony Quintano)
Un vol commercial à bord d’un avion solaire relève donc aujourd’hui de l’utopie ?
Il me semble que l’on est encore très loin d’envisager une transposition au grand public. En effet, les centres de recherche tablent pour les années à venir sur des modules photovoltaïques capables de produire environ 300 watts par mètre carré sur une surface de captation [la puissance d’une grosse lampe halogène, NDLR]. Est-ce que l’on parvient à faire voler un avion de plusieurs tonnes avec des puissances de cet ordre ? Ça me semble très compliqué.
Prenons un exemple dans le domaine de l’automobile : vous souhaitez faire rouler une voiture à 120km/h, en vitesse stabilisée, sans la phase d’accélération. Avec votre Peugeot 106, un vieux modèle, 10 kilowatts environ sont nécessaires. Aujourd’hui, la production tourne autour de 0,2 kilowatt par mètre carré. Pour avoir les 10 kilowatts requis, il faudrait donc – faites le calcul -, 50 mètres carrés de panneaux solaires. J’imagine mal un véhicule équipé de la sorte.
Sauf révolution technique, mieux vaut passer à autre chose ?
Cela ne veut pas dire que nous n’utiliserons pas d’énergie solaire, mais il faut sans doute la penser différemment. Complémentaire à d’autres systèmes, elle peut s’avérer intéressante.
De quelle manière ?
Au sein du CEA, on travaille notamment à l’optimisation des ombrières photovoltaïques, ces systèmes de recharges alimentés à l’énergie solaire que l’on voit petit à petit se développer. Les panneaux produisent de l’électricité en étant stationnaires ; de la sorte, ils chargent les batteries d’un véhicule. Gardons à l’esprit que dans leur immense majorité, les automobilistes effectuent de petits trajets assez courts.
On peut également penser un système annexe, en ayant recours à des cellules photovoltaïques installées sur le véhicule et qui permettent d’améliorer l’autonomie. Les constructeurs y réfléchissement, même si pour le moment, ce qu’on utilise pour les voitures ressemble à des gadgets. C’est le cas d’Audi, qui souhaite faire fonctionner un toit ouvrant à l’énergie solaire.
Avions, voitures… Quid des bateaux solaires ?
On peut citer Energy Observer, qui est totalement autonome et dont une partie de l’énergie est produite par des panneaux solaires. Il y a quelques années déjà, j’ai aussi croisé un bateau de tourisme dans la baie de Sydney. Il utilisait lui aussi de l’énergie solaire.
De manière générale, ça reste des applications très particulières et assez marginales. Je ne sais pas si nous pourrons nous diriger vers une navigation commerciale, ni alimenter un navire de croisière. On en est encore très très loin, les puissances nécessaires sont incommensurables.
Après Amandine, Luc, Axelle et Grégor, la série documentaire dont nous sommes partenaires, Les Petites gouttes, nous embarque à la rencontre d’Adèle, hier écrivaine et éditrice, aujourd’hui cheffe de projet à mi-temps dans la fonction publique. Pauline Antipot, la réalisatrice, raconte comment et pourquoi, un jour, Adèle a quitté sa vie de freelance pour retrouver un travail salarié.
Adèle semble avoir fait le chemin inverse des précédentes Petites gouttes. Elle apparaît sûre de son choix, non ?
Quand je l’ai rencontrée, ce qui m’a marquée, c’est sa sérénité : elle était sûre de ses choix, et elle savait où elle allait. De toutes les Petites gouttes rencontrées, c’était la plus posée. Elle sait pourquoi elle est là. Avant, Adèle était auto-entrepreneure et associée avec des amis dans une maison d’édition. Avec son compagnon, ils attendaient leur premier enfant. Elle a dû prendre une décision et se mettre à mi-temps. Mais dire “j’arrête à temps plein” n’était pas évident.
Pourquoi ce n’est pas évident ?
Elle a vécu le fait de ne pas aller jusqu’au bout de son projet d’édition comme un abandon. Elle faisait partie des mille premiers autoentrepreneurs lors de la mise en place du statut. Quand elle est sortie de ses études, elle ne voulait pas choisir entre édition et écriture et avait le sentiment que le statut de salarié ne lui laisserait pas ce choix-là. Elle a donc voulu tester celui d’auto-entrepreneur. Elle a fait ça dix ans, a testé le modèle et a pris du recul par rapport à ce qu’il promettait, aussi.
Et aujourd’hui, quel recul a-t-elle par rapport à son expérience en tant qu’auto-entrepreneur ?
Quand elle a découvert le salariat dans la fonction publique, elle a aussi découvert l’absence d’objectif de rentabilité, contrairement aux salariés du privé qui y sont constamment soumis. Aujourd’hui, sa fonction est de lutter contre l’illettrisme, ça n’a pas besoin d’être rentable. Quand elle était auto-entrepreneure, toutes les relations qu’elle avait aux autres étaient des relations marchandes, celles qu’entretiennent des clients avec leurs prestataires.
Dans le salariat, elle a découvert la bienveillance. Ses collègues la félicitent pour son travail, parce qu’il fait avancer la chose publique. Dans une relation de prestation, ça va de soi de bien travailler, parce que tu es payée pour ça. Mais cette bienveillance autour d’elle, c’est aussi dû à l’équipe à laquelle elle appartient. Ce n’est pas toujours aussi sain dans la fonction publique. En tout cas, elle n’a plus ce devoir de performance.
Indépendant, ça signifie avoir les reins moins solides
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Pourquoi a-t-elle quitté son précédent travail ?
Elle voulait trouver une stabilité : non seulement elle travaillait tout le temps, mais en plus elle ne gagnait pas assez pour subvenir aux besoins de sa famille. Ça a été un choc pour elle de découvrir cette précarité. Et puis, elle s’est aussi rendue compte qu’elle n’arrivait pas à profiter de sa famille le week-end parce qu’elle travaillait. Et d’un autre côté, elle ne travaillait pas correctement parce que sa famille était à ses côtés. Résultat, elle n’était épanouie dans aucune de ses vies, l’équilibre n’y était plus, sur aucun tableau.
Dans son parcours aussi, elle a vécu une période difficile : un client lui devait près de 15 000 euros et refusait de la payer. Elle a entamé une procédure et a obtenu gain de cause au bout de deux ans. Seulement, un client qui ne paye pas ces 15 000 euros, sur une année, c’est la moitié d’un chiffre d’affaires. Elle s’est sentie vulnérable. Indépendant, ça signifie avoir les reins moins solides: tout peut prendre des proportions énormes.
Son compagnon, enseignant, lui expliquait qu’il pouvait assumer la charge financière de la famille tout seul, mais elle voulait assumer aussi, payer le crédit et les impôts à la même hauteur que lui. Il y a une question de fierté et d’émancipation en tant que femme [à travers le travail, NDLR]. Mais quand elle est tombée enceinte, en tant qu’auto-entrepreneure, ça a mis un frein à sa carrière. Enceinte, elle n’a pas pu entretenir son réseau, même si elle a continué à travailler. Et quand le bébé est arrivé, elle pensait pouvoir tout gérer et continuer comme avant, elle programmait même des appels avec des clients pendant la sieste de son fils. Seulement, quand il se réveillait, il est arrivé qu’elle lui en veuille. Parce qu’elle n’avait pas eu le temps de terminer sa réunion téléphonique.
Donc il y avait l’aspect financier qui compliquait déjà les choses, mais à partir du moment où elle en a voulu à son fils d’exister, ça ne pouvait plus fonctionner.
Avant, Adèle était auto-entrepreneure et associée avec des amis dans une maison d’édition (Illustration Pauline Antipot)
Maman et entrepreneure, c’était quelque chose de compliqué ?
C’était presque impossible : il n’y a pas de congés maternité, pas de congés tout court, en fait, pas de chômage. Et si la facturation permet de faire rentrer davantage d’argent [que pour des salariés, NDLR], à plus long terme, être freelance est à la fois moins stable et moins bénéfique. Avec une visibilité à deux ou trois mois, elle ne pouvait rien anticiper, ni faire de projet à long terme.
Elle ne regrette pas son activité d’indépendante à temps plein ?
À aucun moment ! D’autant qu’elle avait perdu confiance. Quand elle a trouvé son poste de salariée, elle était trop diplômée pour la mission. Elle s’y est adaptée et est devenue efficace, à tel point qu’aujourd’hui, c’est elle qui crée les évolutions de son poste. Ça fait sens pour elle parce que quand elle a choisi de changer de statut, il s’agissait de pouvoir bénéficier de rentrées d’argent régulières, mais aussi d’avoir d’une sécurité psychologique : j’ai une mission à effectuer et je la maîtrise. Quand tu décides d’abandonner un projet dans lequel tu t’es donné à fond, tu en arrives à douter, à te demander ce qui a fait que ça n’a pas fonctionné. Heureusement, elle était bien entourée, par sa famille, par son compagnon. Mais il lui a fallu un temps de reconstruction, qu’elle a trouvé dans son poste dans la fonction publique : ses missions étaient simples, et elle a pu se dire qu’elle n’était pas bonne à rien. Et ce indépendamment de tout le travail qu’elle avait déjà abattu, des livres qu’elle avait écrit et de son affaire qui fonctionnait plutôt bien.
A-t-elle senti une différence entre son indépendance et le fait de travailler en entreprise ?
Même si elle n’avait pas une organisation du travail telle qu’on peut la trouver en entreprise, elle avait des clients, et ils sont parfois très exigeants. Avant, elle travaillait à 3000% sans voir où était le problème. Elle n’avait ni collègue ni supérieur hiérarchique, mais elle assumait seule les clients. Ce qu’elle découvre aujourd’hui dans le salariat, c’est que faire une pause avec ses collègues rend beaucoup plus efficace quand on reprend le travail.
Elle se trouve plus sereine sur tous les tableaux, notamment parce qu’elle ne fait aucune de ses missions à temps plein. Un certain nombre de détails du quotidien énerve ses collègues parce qu’elles y sont toute la semaine. Elle est moins énervée, moins tendue, grâce à sa soupape de sécurité.
À quel moment a-t-elle senti qu’il fallait qu’elle arrête ?
Un été, l’activité était ralentie, ce qui est souvent le cas pour les indépendants au mois d’août. L’année qui venait de s’écouler avait été particulièrement difficile d’un point de vue financier. Avec son compagnon, ils sont partis en vacance et elle a pu faire une coupure, celle qui permet de prendre du recul et de sortir la tête de l’eau. Son environnement a été un garde-fou. Quand elle a fait ce choix-là, elle était déterminée. Pour elle, il fallait juste accepter de bifurquer.
Adèle s’est enfin posée ?
Oui, elle a fait le choix de sécuriser son avenir. Ce choix de la sécurité s’explique par les dix années très précaires qu’elle a connues. D’autres Petites gouttes sont allées chercher autre chose, souvent à l’opposé de tout ce qu’ils avaient déjà connu dans le monde du travail.Amandine [qui est à présent céramiste, NDLR] s’est tournée vers l’auto-entreprise, Adèle fait l’inverse. Dans une conférence, Norbert Merjagnan évoque cette société du travaillisme, et la valeur que les individus attachent désormais au travail. Il évoque cette obligation d’épanouissement dans le travail qui marque nos société, tout le temps. Et tant qu’on ne déconstruira pas ces croyances là, on ne pourra sortir de cette société qui place le travail au centre de tout. Quand elle était auto-entrepreneure, Adèle obéissait à ce schéma-là. Mais quand elle a eu son fils, elle a eu d’autres projets.
Aujourd’hui, elle travaille dans la fonction publique où elle lutte contre l’illettrisme (Illustration Pauline Antipot)
C’est le point commun de toutes ces Petites gouttes, d’avoir pris conscience du poids du travail ?
Je ne suis pas certaine qu’ils en soient tous sortis, ni que ce soit un problème pour tous. Par exemple, Axelle, avec son association de protection des fonds marins, elle travaille énormément et pour l’instant, cette situation lui convient. Même si elle ressent le besoin de vacances… Adèle a mené une réflexion sur la manière dont elle pouvait équilibrer le temps passé sur son travail Aujourd’hui, elle prend le temps de promener son chien et d’aller chercher son fils à la garderie. Elle a retrouvé du temps, mais du temps serein, un temps où elle ne culpabilise plus de ne pas travailler.
Il est plus facile de prendre de la distance lorsqu’on est salarié
Trouver ce temps, ce n’est pas plus simple à faire en tant qu’indépendant ?
Si j’en juge par mon expérience, je trouve que c’est plus difficile. Quand j’étais salariée, je parvenais à dire à mes supérieurs que j’avais trop de travail et que je manquais de temps. Mais c’était plus facile d’avoir cette distance-là pour moi, après dix ans d’expérience. Plus jeune, je n’en avais pas conscience. Malgré tout, c’est plus facile de prendre de la distance en étant salarié.
Et c’est une illusion de la start-up nation que de dire qu’être à son compte permet de choisir son rythme. Ce n’est pas vrai car en réalité, tu travailles beaucoup plus, tu es beaucoup plus précaire et tu ne sais pas de quoi demain sera fait. La visibilité peut être de deux mois !Et puis c’est pas toujours évident de rester raisonnable, de refuser de travailler sur des projets, surtout quand ils sont intéressants.
Est-ce que cette suractivité ne s’explique pas aussi par la passion d’Adèle pour son métier d’éditrice ?
On le définit comme étant une passion, mais une fois de plus, nous sommes dans une société du travaillisme. De mon côté, je suis intoxiquée, ou plutôt dans une phase de désintoxication, j’aimerais réussir à travailler moins, mais je n’y arrive pas. Je ne pense pas arrêter complètement de travailler, parce que j’aime ça, mais il faut rester vigilant et ne pas s’y perdre. Aujourd’hui, par exemple je suis dans une phase d’intermittence. Mais il faut quand même rester disponible : refuser une fois, puis deux ou trois, cela entraîne le risque de ne plus être appelée. Et refuser une mission parce que je veux aller prendre des cours de piano, par exemple, c’est impossible parce que mal vu. Déclarer vouloir travailler aux 4/5è, ce n’est pas audible non plus. Même si de plus en plus de gens aspirent à ça ! Et pas forcément pour travailler sur un autre projet, mais pour travailler moins. Le temps ne sert pas qu’à travailler mais aussi à faire autre chose !
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Les Tribunaux d’instance ont été les plus violemment touchés par la réforme de la carte judiciaire de 2007. On comptait 478 TI en 2007, et, entre cette année-là et 2017, 178 ont été supprimés. Qu’on se rassure, la carte en compte 7 petits nouveaux depuis!
Au-delà de la question de son effectivité, la justice de proximité revêt également une importance symbolique majeure dans les territoires. (Illustration : CC BY kynd_draw)
Moins médiatisés que leurs illustres collègues, les juges d'instance n'en sont pas moins essentiels à l'exercice de la justice au quotidien. Contre une vision de la justice hors-sol, désincarnée, ils défendent coûte que coûte une vision de celle-ci plus proche des hommes et des territoires. Mais le ministère de la Justice en a décidé autrement. Depuis 1958, date de suppression des juges de paix, la mode est plutôt à la concentration des moyens et à la suppression des tribunaux. Au risque de dénaturer leur mission de proximité ?
Difficile de trouver des juges témoignant à visage découvert. Dans la magistrature, le devoir de réserve n’est pas une vaine expression. Tout comme la fidélité à sa hiérarchie. Cette culture du secret n’a été rompue qu’à de rares exceptions. Pourtant, la semaine dernière, 250 juges d’instance regroupés en un collectif ont décidé d’adresser une lettre ouverte au Premier ministre, Édouard Philippe, et à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Paru dans Libération, le texte s’alarme de « la fermeture des tribunaux d’instance », perçue par les magistrats comme l’ultime manifestation de la logique de concentration des lieux de justice à l’oeuvre depuis cinquante ans.
Leur inquiétude semble partagée par l’ensemble de la profession judiciaire, dont une partie a décidé de faire grève mercredi dernier pour dénoncer le projet de réforme de la justice, présenté cette semaine en conseil des ministres. Tribune dans un quotidien national, manifestations, grève et slogans relayés sur les réseaux sociaux… Autant de moyens destinés à attirer l’attention des médias sur la justice d’instance, souvent négligée au profit d’affaires judiciaires plus flamboyantes. « La justice d’instance, c’est un peu moins sexy que la cour d’Assises », m’explique un juge ayant souhaité rester anonyme. « Nous ne traitons ‘que’ des petites choses du quotidien, mais je pense que ces petites choses sont tout aussi importantes pour la paix sociale. »
Depuis 1958, l’invisible justice d’instance
Conflits de voisinage, dettes impayées, livraisons non conformes, litiges entre propriétaires et locataires… Les tribunaux d’instance, répartis sur l’ensemble du territoire, traitent depuis 1958 des petits litiges dont la valeur n’excède pas 10 000 euros. « Pour être cash, ‘on a les mains dedans’, tout le temps,» commente le juge, qui a signé la tribune parue dans Libération. « Les gens viennent comme ils sont, ils viennent avec leurs petits tracas, leurs petits soucis. C’est ça la vraie vie et nous, on traite tous leurs problèmes avec la même importance. Il n’y a pas de petit contentieux. »
Mais cela explique aussi que cette juridiction n’ait jamais été reconnue à sa juste valeur. « Il y a un côté juge des petits = petit juge, dans la manière dont on nous considère. Pourtant, nous sommes des vecteurs de paix sociale. Une poule qui importune le voisin, oui, ça peut faire sourire. Mais quand c’est tous les jours, ça énerve, et si le juge n’intervient pas, ça peut mal finir. » Autre particularité de la justice d’instance : sa facilité d’accès. La présence d’un avocat n’est pas obligatoire, à la différence des tribunaux de grande instance (TGI). Un autre moyen de rendre la justice accessible, même aux plus démunis. « J’ai exercé dans un département où il n’y avait qu’un seul tribunal d’instance », raconte-t-il. « Une personne était en situation de surendettement, elle n’avait plus de voiture, ni les moyens de payer le train. Elle est venue en stop pour le règlement de son litige : ça, c’est de la réalité concrète. »
Autre point fort : les délais de traitement des affaires relativement courts au regard de la moyenne, et les jugements, rarement contestés. « Le juge d’instance recherche toujours la conciliation entre les partis », explique-t-il. « On fait ça à longueur d’audience : on essaye de rendre la justice sur une base pacifiée et apaisée. Et s’il y a très peu d’appels, c’est aussi parce que les décisions ne sont pas rendues hors-sol, donc les gens les acceptent. »
C’est précisément cette logique de proximité et d’échange qui, selon lui, serait aujourd’hui menacée. Car si le projet de loi de Nicole Belloubet n’acte pas la suppression officielle des 306 tribunaux d’instance aujourd’hui présents sur le territoire, il prévoit de les transformer en chambres détachées des TGI, lesquels orchestreront la distribution des contentieux. Le risque ? Que chaque chambre détachée s’oriente vers un type de contentieux selon la politique juridictionnelle fixée par les TGI. Au risque de renvoyer le justiciable à d’autres tribunaux lorsque son affaire ne coche pas la bonne case. Et de rallonger les délais de traitement de chaque affaire, et la distance à parcourir pour régler son litige. À terme, certains magistrats craignent également que les tribunaux se voyant attribuer le moins d’affaires soient fermés.
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Jacques Commaille est docteur en sociologie et professeur émérite des Universités à l’École Normale Supérieure de Cachan. Il l’affirme : cette spécialisation à marche forcée ne date pas d’hier. Elle prolonge la logique de concentration des tribunaux qui ordonne les différentes réformes de la justice de proximité depuis la suppression des juges de paix, en 1958. Présents dans chaque ville française depuis la Révolution française pour régler les litiges mineurs, ils avaient été supprimés pour être remplacés par les juges d’instance. La justice du quotidien avait alors basculé de l’échelon de la ville à celui du département. La première étape d’un démantèlement progressif qui avait atteint son acmé en 2007, avec la suppression d’une juridiction d’instance sur quatre par la ministre de la Justice Rachida Dati. « En matière de réforme judiciaire, historiquement, la tendance lourde a toujours été à la concentration et à la réduction du nombre de tribunaux », souligne le sociologue.
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Une réforme plus inquiétante que la réforme Dati
Pour Jérôme Gavaudan, président de la Conférence des Bâtonniers de Paris, la réforme annoncée par Nicole Belloubet procède d’une logique plus inquiétante encore que le constat établi par Jacques Commaille. « La différence avec la réforme Dati, c’est qu’à l’époque, l’attaque était frontale et absolument violente : la fermeture des tribunaux avait été conduite sans étude d’impact, avec une volonté autoritaire de fermer des juridictions, parce qu’on avait décidé qu’elles n’étaient pas utiles. On a la même problématique actuellement, l’objectif comptable et la logique utilitaire dominent. Mais la méthode est différente : on n’attaque pas frontalement le système judiciaire, mais par une mécanique plus complexe, sinon plus insidieuse, on aboutit au même résultat à court ou moyen terme, rendre plus compliqué l’accès au juge. »
On aboutit au même résultat à court ou moyen terme : rendre plus compliqué l’accès au juge
Un avis que partage le juge d’instance signataire de la tribune parue dans Libération : « cette fois, nous sommes encore dans un autre paradigme : en 2007 on est passé par l’éloignement géographique, là on institutionnalise la fin de la justice d’instance en supprimant non plus le lieu de justice (et encore), mais la fonction de juge d’instance. La proximité perd son juge ‘naturel’. Les tribunaux ne seront pas supprimés, ils vont changer de nature. Cette réforme est dans la remise en cause de l’existence même de la justice du quotidien. » Bien loin, donc, de l’objectif affiché par la ministre Nicole Belloubet de rendre la justice plus proche du justiciable. « Sous prétexte de dire que tout est trop cher et trop compliqué, on va multiplier les obstacles à la saisine du juge », commente le juge d’instance.
En effet, le projet de loi prévoit également le renforcement du recours à la médiation en ligne, en particulier pour les petits litiges. « C’est encore un nouveau moyen trouvé par le ministère pour contourner la justice », commente Jérôme Gavaudan. « On ne pourra saisir le juge que si on fait une tentative de médiation préalable. On va confier la possibilité de régler un différend à des plateformes de médiation détenues par des sociétés commerciales, qui feront désormais payer un service au justiciable. »
« Au-delà de la remise en cause de la gratuité de la justice d’instance, la question qui est posée ici est fondamentale pour l’avenir de la justice : est-ce qu’un citoyen doit être proche d’un juge ? Est-ce qu’on a une conception utilitariste et comptable de l’autorité judiciaire ou est-ce qu’on décide d’avoir une conception plus haute de l’office du juge ? », complète le Président de la Conférence des bâtonniers.
Pour Jacques Commaille, ces interrogations sont emblématiques du conflit qui oppose, depuis près d’un siècle, le personnel de justice au ministère des Finances. « Depuis 1930 environ s’affrontent deux visions du rôle de la justice absolument irréconciliables : une vision an-économique, a-financière, celle des magistrats, convaincus de la nécessité que la justice soit présente partout, et celle du ministère des Finances dont le rôle est de rationaliser les coûts. Les professionnels de la justice ont une vision très haute de ce qu’est leur rôle et leur statut au sein de la société. Certains magistrats font même l’éloge de la lenteur nécessaire à son exercice, quand le ministère de la Justice brandit des objectifs d’efficacité, de réduction des coûts… Le malentendu est total. Ajoutez à cela le refus des élus de voir fermer des tribunaux, et vous comprenez pourquoi la justice est très difficile à réformer en France. »
Le tribunal, un enjeu d’identité pour les territoires
Car au-delà de son effectivité réelle, la justice de proximité revêt également une importance symbolique majeure dans les territoires. Une importance qui n’a cessé de croître à mesure que la crainte de voir les campagnes se dépeupler, elle, grandissait. Au point que certains professionnels de la justice n’hésitent plus à évoquer l’apparition de « déserts judiciaires », en écho à la désertification médicale de certaines zones, dont celles rurales. « La question du tribunal dans un espace met en jeu des éléments très symboliques de l’identité des territoires », commente le sociologue Jacques Commaille. « Les tribunaux d’instance sont devenus le signal de la vitalité d’une ville. Ce qui m’avait beaucoup frappé lors de la suppression des juges de paix, en 1958, c’étaient les réactions absolument incroyables des élus des villes qui souhaitent préserver leur tribunal. En 58 comme aujourd’hui, on invoque l’histoire des lieux, on convoque celle des habitants…Cela dépasse très largement la seule logique corporatiste. »
De celle-ci, il est forcément un peu question aussi, même si les intérêts des avocats et des magistrats ne se rejoignent pas toujours. « C’est très frappant de voir que cette réforme mobilise davantage les avocats que les magistrats », commente Jacques Commaille. « Les avocats sont naturellement favorables à une plus grande dispersion des lieux de justice. Les magistrats, eux, peuvent pencher pour une plus grande concentration des tribunaux, car elle permet une gestion des carrières plus efficace. Mais cette fois, certains magistrats sont du côté des avocats, non seulement par souci de préserver l’accès à la justice pour tous, mais aussi parce qu’ils craignent vraiment que cet effort de rationalisation leur porte préjudice. »
Mais il faut croire aussi ces quelques juges dévoués jusqu’au bout à une certaine conception de leur fonction. D’une justice proche des « petites choses » qui touchent les « petites gens ». Loin, très loin du modernisme clinquant du nouveau Palais de justice de Paris.
En Alsace, une ancienne mine de potasse accueille depuis 1 999 près de 44 000 tonnes de déchets toxiques. Pour ses détracteurs, le projet StocaMine menace la plus grande nappe phréatique d'Europe. (Illustration : Antonin Sabot)
Pour le projet Cigeo à Bure, comme pour celui de StocaMine en Alsace, la France a choisi d'enfouir ses déchets, qu'ils soient radioactifs ou non. En promettant aux élus locaux et aux habitants que ces deux centres de stockage seront réversibles. Une promesse difficile à tenir.
Que faire des déchets ultimes que nous produisons ? Une question qui revient régulièrement sur le devant de la scène lorsqu’on évoque le projet Cigéo à Bure, et la problématique plus générale de l’enfouissement des déchets, qu’ils soient radioactifs ou non. Pour le moment, et ce, jusqu’au lancement d’un « débat national » qui devrait avoir lieu en fin d’année, les polémiques autour du projet Cigéo et de sa supposée réversibilité semblent s’être atténuées. Car au-delà de toutes les questions éthiques que pose cet enfouissement, selon certains chercheurs, c’est le concept même de l’irréversibilité de Cigéo qui cristallise les oppositions.
Un calme tout relatif puisqu’une autre question épineuse, concernant la réversibilité du stockage des déchets et vieille d’une vingtaine d’années, devrait refaire surface ces prochaines semaines. C’est qu’en Alsace, à 200 km à l’est de Bure, 44 000 tonnes de déchets industriels ultimes (mercure, cyanure, amiante, résidus de pesticides, etc.) ont été enterrées entre 1999 et 2002 à StocaMine, une ancienne mine de potasse. Non radioactifs, ces déchets n’en sont pas moins extrêmement toxiques. Et aux yeux de leurs détracteurs, ils pourraient menacer la plus grande nappe phréatique d’Europe.
Il faut établir les raisons pour lesquelles StocaMine est dans cette impasse aujourd’hui
« Établir les raisons pour lesquelles StocaMine est dans cette impasse aujourd’hui. » Tel est l’objectif de Vincent Thiébaut, député LREM de la 9ème circonscription du Bas-Rhin, qui a initié la création d’une mission parlementaire qui devrait débuter son travail d’enquête à partir du 18 avril. Membre de la mission, le député LREM Bruno Fuchs a précisé que celle-ci « devra étudier les différents scénarii possibles pour faire respecter la parole de l’État sur la réversibilité du stockage et extraire l’intégralité des déchets toxiques ».
Des projets basés sur leur réversibilité
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Cigéo et StocaMine : deux projets de nature différente, par le type de déchets qu’ils ont hébergé ou sont censés héberger. Mais deux projets qui se ressemblent pourtant dans la manière dont l’Etat les a fait accepter par les populations locales : tous deux devaient être réversibles. C’était la condition sine qua none pour qu’élus et habitants consentent à approuver ces deux centres d’enfouissement de déchets (radioactifs et toxiques) dans le sous-sol de leur territoire.
Pour StocaMine, un engagement a été pris dès 1991 par l’État. Celui-ci a assuré que les déchets pourraient être ressortis des galeries du sous-sol de la commune de Wittelsheim (68), et ce quoiqu’il advienne. Une réversibilité qui sera inscrite dans la législation un an plus tard. En 1997, le stockage est donc autorisé pour trente ans, au bout desquels il est stipulé que les déchets devront être ressortis de la mine ou le projet prolongé.
À Wittelsheim, en Alsace, une ancienne mine de potasse accueille depuis 1 999 près de 44 000 tonnes de déchets toxiques. Le projet StocaMine devait être réversible mais la promesse faite par l'État semble difficile à tenir. (Illustration : Antonin Sabot)
Même principe pour Cigéo. Depuis 1996, la loi en vigueur stipule que ce projet ne sera autorisé que si « la réversibilité du stockage est assurée pour une durée d’au moins 100 ans ». C’est-à-dire que les colis radioactifs doivent pouvoir être récupérés « si nécessaire », mais seulement pendant toute la durée du fonctionnement, évaluée à un siècle.
Dans la bouche du législateur, le mot réversibilité n’a pas la même définition que pour le commun des mortels
Pour les militants écologistes, la question de la réversibilité est un « leurre » utilisé pour convaincre les détracteurs de ces projets d’enfouissement. « Dans la bouche du législateur, le mot réversibilité n’a pas la même définition que pour le commun des mortels », soutient Arnaud Schwartz, secrétaire national de France nature environnement (FNE). « Pour Cigéo, c’est réversible juste pendant cent ans ! Après on rebouche le trou pour l’éternité, donc ce n’est plus du tout réversible. Quant à StocaMine, il a été dit qu’à cause d’un incendie, on ne pouvait plus sortir les déchets, que c’était trop dangereux, que ça coûtait trop cher, etc. Dans un cas comme dans l’autre, la réversibilité est techniquement impossible. »
En effet, l’exemple de StocaMine illustre bien le problème soulevé par certains militants. Le 10 septembre 2002, un incendie s’est déclenché accidentellement dans ses artères, à 550 mètres sous terre. Bilan des courses : le feu n’a été éteint que deux mois plus tard et 74 travailleurs ont été intoxiqués par les fumées. Par la suite, l’enquête a montré que des résidus de pesticides non conformes au cahier des charges avaient pris feu. Sept ans après ce drame qui a marqué l’esprit des mineurs, l’ancien directeur a été condamné pour mise en danger de la vie d’autrui.
Des risques inhérents à l'enfouissement
Après l’incendie, l’activité du site s’arrête, mais les déchets toxiques sont toujours coincés dans les galeries de sel gemme. Pour le collectif Destocamine, ils ne peuvent y rester. Consciente des risques de contamination pour la plus grande nappe phréatique d’Europe, la ministre de l’Environnement de l’époque annonce alors le déstockage partiel de StocaMine. Au bout de trois ans et demi de travaux très compliqués, 93% des déchets les plus dangereux, soit 2 270 tonnes de résidus mercuriels, sont enfin extraits.
Je vous avais demandé le déstockage de tous les produits dangereux, conformément à l’engagement de réversibilité de stockage, pris par l’État lors de la mise en service de ce site
Quid des 40 000 tonnes restantes ? Malgré les nombreux recours en justice, le préfet du Haut-Rhin a tranché l’année dernière : tous resteront confinés sous terre grâce à des « bouchons » en béton. Une décision qui va à l’encontre de la réversibilité du projet, ce que n’a pas manqué de rappeler Éric Straumann, le président du Conseil départemental du Haut-Rhin, dans une lettre adressée à Ségolène Royal : « Je vous avais demandé le déstockage de tous les produits dangereux, conformément à l’engagement de réversibilité de stockage, pris par l’État lors de la mise en service de ce site. »
Là encore, pour certaines associations de protection de la nature, les risques liés à l’enfouissement ne sont pas maîtrisables. « De manière générale, en profondeur, on ne sait pas traiter les problèmes, car celle-ci aggrave les difficultés à faire face au moindre accident », soutient Arnaud Schwartz, de FNE. « D’une part, les galeries sont très difficiles d’accès, d’autre part, sous terre, tant de paramètres rentrent en jeu : la chaleur dégagée par les déchets, l’humidité ambiante, etc. Ce sont des problèmes techniques parfois insurmontables. » Dans le cas de Cigéo, l’ASN a pointé à de nombreuses reprises les risques potentiels d’incendie dû à un certains type de déchets – un risque devenu réalité sur le site de stockage de déchets radioactifs WIPP du Nouveau-Mexique, où un incendie a provoqué des rejets de gaz radioactif.
L’échec du projet WIPP rappelle également celui du centre de stockage Asse II en Allemagne. 126.000 barils de déchets radioactifs avaient dû être évacués d’une ancienne mine de sel rongée par des infiltrations. Une situation qui fait largement écho à celle de StocaMine.
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Dans une dépêche AFP publiée le 8 mars 2009, l’on pouvait lire que le cabinet de la ministre de la Culture, Christine Albanel, estimait que les militants de la Quadrature du net n’étaient qu’une poignée tout juste bonne à faire partir des salves de mails automatiques aux parlementaires.
Pour pouvoir correctement restranscrire les débats et attribuer aux bons parlementaires les bonnes citations, il était nécessaire d’avoir en main un trombinoscope. Jusqu’à ce que la possession en soit interdite. Un rappel au règlement par la député Front de gauche Martine Billard leur permettra de disposer de nouveau de leurs trombinoscopes.
Chez Pcinpact, aujourd’hui NextINpact, le journaliste Marc Rees rivalisait alors d’ingéniosité en publiant un article totalement surligné en noir.
Alors que l’association de défense des libertés numériques La Quadrature du Net lance une action de groupe contre les GAFAM, retour sur la bataille contre la loi Hadopi.
Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, cinq entreprises que l’on range à présent derrière l’acronyme GAFAM. Cinq entreprises dont la gestion des données utilisateurs ou l’optimisation fiscale agressive défraient régulièrement la chronique. Si la semaine dernière, Mark Zuckerberg était auditionné par le Congrès américain suite à l’affaire Cambridge Analytica, Google, Apple, Amazon et Microsoft ne sont pas en reste en terme de scandales.
Trop c’est trop pour une poignée d’irréductibles de l’Internet français. Dont La Quadrature du Net : l’association, créée en 2008 par Philippe Aigrain, Christophe Espern, Gérald Sédrati-Dinet, Benjamin Sonntag et Jérémie Zimmermann, à l’occasion d’une bataille géante livrée contre la loi Hadopi, passe la vitesse supérieure et lance une action de groupe contre les GAFAM le 25 mai. En attendant la date butoir, elle propose aux internautes de rejoindre, une nouvelle fois, son combat.
Opération black-out
C’est que l’association n’en est pas à son coup d’essai. En 2009, le collectif, qui n’est pas encore une association, milite déjà pour un droit de l’Internet « qui soit novateur, respectueux des droits et libertés des citoyens et en accord avec les potentialités démocratiques de cet outil de communication profondément démocratique ». En pleine préparation de la loi Hadopi, il décide de faire irruption dans le débat parlementaire.
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Comme l’action « black-out » lancée ce lundi 16 avril, le mouvement entame alors une opération de grande envergure à destination des internautes, en proposant notamment à une flopée de sites internet d’afficher – entre autres – un bandeau noir pour marquer leur opposition à la future loi Hadopi. « Pour protester contre cette loi imbécile et sa liste blanche de sites autorisés, le Net français doit agir et se draper de noir », résumait La Quadrature. À cette action symbolique s’ajoutait un générateur de mails, histoire d’inonder les députés d’informations et de questions en amont des débats.
La lutte contre la loi Hadopi ? « Un cours de droit constitutionnel et un moment exceptionnel dans l’histoire du web » pour Marc Rees, journaliste chez NextInpact et qui a suivi les débats et la naissance de la bataille : « Beaucoup d’internautes ont vu qu’on pouvait suivre les débats parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat et se sont pris au jeu. Hadopi mettait en exergue les droits de propriété des créateurs quand de l’autre côté, il s’agissait de liberté de communication et de partage. Le fait qu’on qualifie La Quadrature du Net de « gus dans un garage » était une incompréhension totale sur le mouvement qui se déployait sans aucune organisation. » Un mouvement, non pas d’une poignée d’activistes, mais de « plusieurs gus dans chaque maison et derrière chaque prise RJ45 », remet en perspective Marc Rees. Jérémie Zimmermann, l’un des cofondateurs, allait même plus loin dans un entretien accordé à Médiapart à la fin du mois d’avril 2009 : « La classe politique est déconnectée des réalités sociales nouvelles et des avancées technologiques […] Les gens qui légifèrent ne sont pas les mieux informés. » Un boulevard pour les actions de sensibilisation et de lobbying du collectif. L’opération est un succès et illustre le branle-bas de combat des milliers d’internautes.
La Quadrature du Net a poussé plein de jeunes à s’intéresser à la loi
À ces milliers de militants numériques s’ajoute une poignée d’activistes présents dans l’hémicycle, des premiers moments des débats au vote final. « La Quadrature du Net a politisé les débats et a poussé plein de jeunes à s’intéresser à la loi. Je suis allée jusqu’à lire le règlement du bureau de l’Assemblée nationale pour comprendre pourquoi on nous interdisait d’avoir accès à nos trombinoscopes dans les tribunes. Un an avant j’étais étudiant en physique ! », se souvient Julien Rabier, membre de la Quadrature et présent avec assiduité pendant les discussions.
Pas en tribune, mais derrière son écran, PcINpact ne sera pas le seul à participer à l’opération black-out : La Quadrature du Net fait état de 535 000 URL uniques au 9 mars 2009, l’avant-veille du début des discussions à l’Assemblée. L’association disposait même d’une URL dédiée à la galerie des sites ayant bardé leur site de noir.
La galerie de La Quadrature du Net, vestige d'une mobilisation monstre des internautes (capture d'écran)
« Il y avait une attention généralisée, les actualités sur le sujet explosaient tous les compteurs, notamment parce qu’on parlait d’emprise du pouvoir sur un secteur où l’échange était monnaie courante », poursuit Rees, qui a observé les mutations de La Quadrature du Net depuis ses débuts, un an avant l’opération black-out.
Un contexte propice à la naissance d'une asso
Dans une période marquée par les échanges peer-to-peer, via des logiciels comme eMule, Kazaa ou eDonkey, la mobilisation n’a pas faibli. Elle s’est même structurée, occasionnant une montée en puissance de La Quadrature du Net. « Elle a catalysé à son chevet les râles disséminés chez les internautes », se souvient Marc Rees. Avant la bataille contre la loi Hadopi, point de structure. Mais après ? « On avait vu les prémices de la loi, à travers le rapport Olivennes, la loi DADVSI aussi et on s’est dit qu’il fallait remettre le couvert », précise Julien Rabier : « Ensuite est apparue l’idée de continuer, de se dire qu’il y aurait d’autres choses, qu’on sentait les velléités de censure, notamment parce que les lobbies du divertissement annonçaient des impossibilités au partage. »
Elle a catalysé à son chevet les râles disséminés chez les internautes
À la lutte contre la loi Hadopi a succédé celle contre ACTA, pour accord commercial anti-contrefaçon, mais aussi une autre contre le Paquet Telecom. Aujourd’hui, si on doit citer une association de défenses de libertés numériques, c’est souvent La Quadrature qui revient en premier. Même si le combat a peu à peu évolué, en fonction du contexte et des lois ou autres mesures votées. « Sur les questions de droits d’auteur, la Quadrature a laissé place à d’autres organisations, mais les soutiens sont toujours là et la majorité des bénévoles aussi », constate Julien Rabier : «Aujourd’hui, les GAFAM ont pris une telle ampleur et la marchandisation des données est telle qu’on ne peut pas passer à côté de ces sujets. Ceux de la Quadrature sont moins spécialistes des droits d’auteur que des données personnelles et de tout ce qui va concerner la liberté d’expression et la protection de la vie privée. »
Des internautes qui ont pris la mission à bras le corps au moment d’Hadopi et qui, aujourd’hui, soutiennent financièrement l’association : sur les 300 000 euros de dons nécessaires au budget de l’année 2018, plus de 270 000 euros ont été récoltés. Né dans le tourbillon Hadopi, le mouvement a été créé, selon la chercheuse Anne Bellon, aujourd’hui à la tête de CFAO technologies, « pour donner une structure pérenne et plus politique à la défense des libertés sur Internet. […] Désormais constituée en association à but non lucratif, la QDN s’est imposée comme un interlocuteur reconnu des politiques et des médias ».
Près de dix ans après les prémices de ce que deviendra La Quadrature du Net, les « cinq gus dans leur garage qui font des mails à la chaîne » ne se sont pas démontés, même si la lutte contre la marchandisation de la culture s’est transformée en un combat contre les GAFAM. L’action que peuvent rejoindre les citoyens depuis le lundi 16 avril démontre que l’association est bel et bien vivante et déterminée à ne pas laisser nos données entre les mains d’entreprises qui ont bâti leur business model sur une récolte à grande échelle
La réforme de l’université fait débat : doit-on oui ou non imposer une sélection à l’entrée dans l'enseignement supérieur, au risque de laisser bon nombre d'étudiants sur le pavé ? Pour Annabelle Allouch, sociologue et auteure de La Société du concours, L'empire des classements scolaires, aucun doute possible : cette réforme s'inscrit dans un processus d'évaluation bâti sur le mérite individuel qui contamine non seulement l'école, mais aussi le monde du travail, sans se soucier des biais sociaux qui faussent ces procédés de sélection.
La sélection à l’université perpétue-t-elle les inégalités ? C’est en tout cas la thèse défendue par Annabelle Allouch, maîtresse de conférence en sociologie à l’Université de Picardie – Jules Verne et auteure de La Société du concours,L’empire des classements scolaires (Le Seuil, septembre 2017). À l’heure où son éventuelle mise en place ressurgit dans le débat public, entraînant l’occupation de plusieurs universités par des étudiants en colère, la chercheuse dénonce la contamination progressive de la logique de classement propre aux Grandes Écoles à l’ensemble de la société. Évaluation de la performance, New Public Management, concours télévisés… La notation s’étend progressivement au point de devenir la principale mesure du mérite individuel, sans qu’on s’interroge suffisamment sur les moyens déployés pour freiner la reproduction des inégalités dans l’accès à l’enseignement supérieur et aux postes qualifiés. Décrypté en son temps par Pierre Bourdieu, glorifié par un Nicolas Sarkozy ou un Emmanuel Macron dans leurs discours, l’idéal méritocratique qui sous-tend cette passion française pour les concours est ici décrypté à l’aune de sa récupération par la doctrine néo-libérale et ses apôtres.
Votre ouvrage repose sur l’idée d’une imprégnation croissante de la culture du concours et de la notation, non seulement dans la sphère scolaire mais également dans le monde du travail. Pour vous, la mise en place de la sélection à l’université est l’aboutissement logique de ce processus de sélection généralisé…
Effectivement, je défends l’idée qu’il n’y a pas de différence entre la sélection à l’université et les concours des grandes écoles. Lorsqu’on pense en sociologue, comme c’est mon cas, on s’aperçoit que ces deux logiques relèvent du même processus social. Je n’invente rien, Bourdieu l’avait déjà très bien décrit : la logique de concours, c’est ce qui transforme des micro-différences académiques en statuts sociaux pérennes. Qu’on soit sélectionné à l’université ou dans les Grandes écoles (à l’Ecole Normale supérieure, à Polytechnique), on est dans cette même logique de transformation des micro différences académiques et de classement ; le problème c’est que cette forme de classement scolaire circule dans la société et s’impose partout, souvent au mépris de toute autre forme de légitimité politique et institutionnelle.
Comment expliquez – vous l’emprise de cette culture du classement et de la sélection sur la société française ?
Cette culture du classement dans notre société bénéficie d’une légitimité historique très forte. Il faut remonter très loin, à la révolution française, pour comprendre l’emprise qu’exerce cette culture du classement sur la société. En France, le classement scolaire continue à incarner le contrat social entre l’État et le citoyen : contre l’Ancien régime où tout est fondé sur la naissance, contre l’aristocratie, le concours incarne la promesse républicaine que l’État reconnaîtra à sa juste valeur le talent du citoyen (l’École polytechnique a été fondée en se basant sur ce postulat). Derrière chaque concours des grands corps de l’État, il y a l’idée que ce n’est plus la naissance mais la reconnaissance du talent et du mérite individuel qui justifie l’accès à une fonction. Sauf que cette idée était biaisée d’office par les inégalités sociales de départ qui n’ont pas été suffisamment compensées par l’école. Malheureusement, cet héritage historique rend cette culture du classement absolument indéboulonnable : sa légitimité est fondée sur une révolution politique qui n’est rien de moins que le pacte républicain qui subsiste aujourd’hui.
Le concours incarne la promesse républicaine que l’État reconnaîtra à sa juste valeur le talent du citoyen
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Cette logique s’appuie notamment sur l’idée de méritocratie, dont vous retracez également la généalogie…
La méritocratie est un concept très français, même si on en parle aussi aux Etats-Unis (en lui donnant une autre signification, plus individuelle, moins liée à l’Etat. Il est aussi historiquement daté : ce vocabulaire du mérite arrive par le biais des étudiants et les mouvements sociaux qui commencent à se mobiliser dans les années 1960. A partir de mai 68, on s’aperçoit en consultant les archives des écoles (de SciencesPo Paris notamment) que le vocabulaire du mérite explose dans les revendications des jeunes. A elle seule, cette nouvelle revendication souligne toutes les ambiguïtés du mouvement de mai 68 car le mérite est une idéologie infiniment individualiste : le mérite est toujours individuel ; ce n’est jamais quelque chose de collectif. Et surtout, c’est une chimère qui légitime la reproduction des inégalités. Attention, je ne dis pas que l’idée de mérite n’était pas belle au départ : l’idée du mérite était même très belle mais appliquée à une institution scolaire qui fonctionne avec très peu de moyens et beaucoup d’idéaux elle s’est retournée contre ceux qu’elle prétendait favoriser.
L’idée de mérite légitime la reproduction des inégalités
Là aussi, c’est quelque chose que Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron et tant d’autres depuis comme François Dubet et Marie Duru-Bellat analysent très bien ; le mérite n’existe pas en soi, mais a une fonction politique, idéologique : il vise à légitimer les inégalités à l’école. C’est d’ailleurs ce qui explique que la méritocratie, une idée de gauche issue des revendications de mai 68, ait pu aussi facilement être récupérée par la droite qui en a même fait des slogans de campagne. Derrière l’idée de mérite, il y a l’idée de hiérarchie, de classement, de performance individuelle, qui colle parfaitement avec les exigences du néo-libéralisme.
C’est pourquoi il est aussi facile pour des politiques de droite – Nicolas Sarkozy en tête – de faire l’éloge de la méritocratie : d’une idéologie fondée sur l’évaluation de chacun – le néolibéralisme – à la culture du mérite, il n’y a qu’un pas. D’où l’intérêt de penser ensemble mérite et performance individuelle ; pour moi, la performance exigée des uns et des autres dans le monde du travail est la dimension nouvelle du mérite, qui a été dévoyé de son but originel par le néo-libéralisme. Les évaluations à la performance dans les entreprises ne sont que le prolongement logique des concours des grandes écoles ou – désormais – de la sélection à l’université. Même l’administration s’y est mise avec la diffusion des théories du New Public Management, qui alignent la gestion publique sur l’organisation du secteur privé.
Vous décrivez également les mécanismes par lesquels les individus intériorisent cette logique de classement et de mise en compétition permanente des uns et des autres…
L’emprise de cette logique sur les esprits est très forte : cela démarre dès l’école où la culture de la notation est institutionnalisée. Résultat, dès le plus jeune âge, les individus intériorisent le fait que l’ordre social repose sur la notation et le classement. On a fait du classement scolaire une expérience naturelle, qui va de soi.
Le néo-libéralisme a pu prospérer car le système scolaire, dans son fonctionnement, favorise la mise en compétition des individus
Cette mise en compétition préexistait au néo-libéralisme : je pense que les politiques de New Public Management n’auraient pas imprégné avec autant d’efficacité les individus si ça n’avait pas été complètement compatible avec cette culture du mérite bâtie par le système scolaire. Le néo-libéralisme a pu prospérer car le système scolaire, dans son fonctionnement, favorise la mise en compétition. Ce qui est terrifiant c’est qu’on en revient du coup à une forme de darwinisme social total car dans le même temps, on manque de moyens financiers pour résorber les inégalités de départ entre les élèves.
A quel moment y a-t-il eu selon vous convergence entre la culture républicaine du mérite et le néo-libéralisme ?
Selon moi, c’est au tournant des années 2000 que s’est accélérée la conversion de la société au néo-libéralisme. C’est ce que décrivent parfaitement Pierre France et Antoine Vauchez dans leur ouvrage Sphère publique, intérêts privés (Presses universitaires de SciencesPo, septembre 2017). Ils expliquent que c’est à ce moment là que s’opère un croisement entre public et privé et que la frontière devient de plus en plus floue, y compris dans la manière de manager le personnel des administrations, avec l’introduction de ce que j’évoquais plus haut, les théories du New Public Management.
Vous évoquez également une « une extension du domaine du concours » qui pénètre des sphères et des populations jusqu’alors épargnées par cette logique de classement…
Effectivement, cette culture du classement scolaire a aussi imprégné un certain nombre de produits culturels : la téléréalité, les concours télévisés sont aussi fondés sur la sélection. Le problème c’est que son emprise prend de l’ampleur à mesure que la fascination sociétale pour la sélection s’étend, pénètre des domaines jusqu’alors épargnés. Pour moi, ça va croissant : désormais les individus ont tendance à avoir du mal à se construire en dehors du prisme de la sélection et du classement. C’est pour ça que je parle dans mon ouvrage d’une « une extension du domaine du concours »: j’observe une diffusion de cette logique de sélection dans des domaines qui n’ont rien à voir avec l’école. C’est un processus qui circule et dont la légitimité reste intacte ; il y a une sorte d’autonomisation de la logique de concours qui va circuler et s’étendre au-delà des cadres scolaires et même des statuts de la fonction publique.
La logique du classement scolaire a imprégné un certain nombre de produits culturels
Ce qui me scie, c’est que c’est un mode de perpétuation des inégalités particulièrement redoutable mais qui atteint une telle légitimité économique et sociétale qu’il va perdurer. La ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal met actuellement en place des mécanismes de sélection tout en sachant pertinemment qu’il y aura des biais sociaux, que certains seront naturellement favorisés du fait de leur éducation, de leur entourage, de leur capital social et culturel… Mais elle n’évoque bien entendu jamais le sujet. La question de l’augmentation des moyens dédiés à l’éducation, qui seule permettrait de résorber ces inégalités, n’est jamais évoquée non plus.
Il est également assez intéressant de constater que les élites tentent de dupliquer le mode de recrutement qui leur a permis d’accéder à leurs fonctions. Dans la perception qu’ils ont de l’université, c’est un peu ce lieu bizarre où on n’a pas besoin d’être sélectionné scolairement pour accéder à un savoir. Notre président de la République, à cet égard, perpétue à merveille cette logique de sélection : on a quand même quelqu’un qui n’a jamais été élu démocratiquement avant l’élection présidentielle, un conseiller du prince dont l’expertise repose sur des titres scolaires eux-mêmes fondés sur des concours. On peut supposer que dans ce cas-là, il est d’autant plus difficile de penser un rapport au savoir aussi différent que celui proposé par l’Université non-sélective.
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